26 février 2007

Occupation et Droit International Humanitaire

L’occupation et le droit international humanitaire : questions et réponses


1. Qu’est-ce que l’occupation ?

L’article 42 du Règlement de La Haye de 1907 dispose qu’un « territoire est considéré comme occupé lorsqu’il se trouve placé de fait sous l’autorité de l’armée ennemie. L’occupation ne s’étend qu’aux territoires où cette autorité est établie et en mesure de s’exercer ».

D’après leur article 2 commun, les quatre Conventions de Genève de 1949 s’appliquent à tout territoire occupé pendant un conflit armé international. Elles s’appliquent aussi si l’occupation du territoire d’un État ne rencontre aucune résistance armée.

La légalité de toute occupation est régie par la Charte des Nations Unies et la branche du droit connue sous le nom de jus ad bellum. Dès l’instant où la situation équivaut à une occupation de fait, le droit de l’occupation est applicable, que l’occupation soit considérée comme légale ou non.

Par conséquent, s'agissant de l’applicabilité du droit de l’occupation, il importe peu que l’occupation ait été approuvée par le Conseil de sécurité, que l’on connaisse son objectif ou qu’elle soit en fait appelée « invasion », « libération », « administration » ou « occupation ». Le droit de l’occupation étant essentiellement fondé sur des considérations humanitaires, seule la réalité sur le terrain détermine son application.

2. Quand le droit de l’occupation devient-il applicable ?

Les règles du droit international humanitaire se rapportant aux territoires occupés deviennent applicables lorsque le territoire se trouve placé sous le contrôle effectif de forces armées étrangères hostiles, même si l’occupation ne rencontre aucune résistance armée et qu’il n’y a pas de combats.

La question du « contrôle » donne lieu à au moins deux interprétations différentes. Une première interprétation serait qu’il y a une situation d’occupation quand une partie au conflit exerce une certaine autorité, ou un certain contrôle, sur un territoire étranger. Ainsi, par exemple, des troupes qui avancent en territoire étranger pourraient, lors de l’invasion déjà, être considérées comme liées par le droit de l’occupation. C’est l’interprétation que propose le CICR dans son Commentaire de la IVe Convention de Genève.

Une autre interprétation, plus restrictive, serait de dire qu’il n’y a de situation d’occupation que lorsqu’une partie au conflit peut exercer sur un territoire ennemi l’autorité suffisante lui permettant de s’acquitter de toutes les obligations qui découlent du droit de l’occupation. Cette interprétation est adoptée par un certain nombre de manuels militaires.

3. Quels sont les principes les plus importants qui régissent l’occupation ?

Les obligations de la puissance occupante sont énoncées dans le Règlement de La Haye de 1907 (art. 42-56) et dans la IVe Convention de Genève (CG IV, art. 27-34 et 47-78), ainsi que dans certaines dispositions du Protocole additionnel I et dans le droit international humanitaire coutumier.

Les accords passés entre la puissance occupante et les autorités locales ne peuvent priver la population d’un territoire occupé de la protection accordée par le droit international humanitaire (CG IV, art. 47) et les personnes protégées elles-mêmes ne peuvent en aucun cas renoncer à leurs droits (CG IV, art. 8).

Les principales règles du droit applicable en cas d’occupation précisent que :

• L'occupant n’acquiert pas la souveraineté sur le territoire.

• L’occupation n’est qu’une situation temporaire et les droits de l’occupant se limitent à la durée de cette période.

• La puissance occupante est tenue de respecter les lois en vigueur dans le territoire occupé, à moins qu’elles constituent une menace pour sa sécurité ou un obstacle à l’application du droit international de l’occupation.

• La puissance occupante doit prendre des mesures en vue de rétablir et d’assurer, autant qu’il est possible, l’ordre public et la sécurité publique.

• Dans toute la mesure de ses moyens, la puissance occupante a le devoir d’assurer des conditions satisfaisantes d’hygiène et de santé publique, ainsi que d’approvisionner en vivres la population sous occupation et de lui dispenser les soins médicaux nécessaires.

• Les personnes civiles vivant dans un territoire occupé ne peuvent pas être enrôlées de force dans les forces armées de l’occupant.

• Les transferts forcés de personnes civiles, en masse ou individuels, à l'intérieur ou en dehors du territoire occupé sont interdits.

• Les transferts de ressortissants civils de la puissance occupante dans le territoire occupé, qu’ils soient forcés ou volontaires, sont interdits.

• Les peines collectives sont interdites.

• La prise d’otages est interdite.

• Les mesures de représailles à l’égard des personnes protégées ou de leurs biens sont interdites.

• La confiscation des biens privés par l’occupant est interdite.

• La destruction ou la saisie de biens appartenant à l’ennemi est interdite, sauf si elles sont absolument nécessaires pour des raisons d’ordre militaire.

• Les biens culturels doivent être respectés.

• Les personnes poursuivies pour un délit pénal doivent bénéficier des procédures respectant les garanties judiciaires reconnues sur le plan international (par exemple, elles doivent être informées des motifs de leur arrestation, inculpées d’un délit spécifique et jugées de façon équitable dès que possible).

• Le personnel du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge doit être autorisé à mener à bien ses tâches humanitaires. Le CICR, en particulier, doit avoir accès à toutes les personnes protégées, en tout lieu, qu’elles soient privées de liberté ou non.

5. Territoires occupés

5 (a) Principes

Outre les règles générales contenues dans les articles 27 à 34 et développées ci-dessus, les règles spécifiques en situation d'occupation sont contenues dans les articles 47 à 78 de la IVe Convention. Toutefois, comme il a été rappelé plus haut, il faut également prendre en considération les normes du Règlement de La Haye, afin de saisir le sens et l'esprit de ces dispositions.

L'article 42 de ce Règlement décrit l'occupation comme suit : « un territoire est considéré comme occupé lorsqu'il se trouve placé de fait sous l'autorité de l'armée ennemie.»

Ainsi, l'occupation est une situation de plus ou moins longue durée, mais par essence temporaire, durant laquelle un territoire et sa population sont placés sous une puissance d'occupation. L'occupation n'entraîne aucun transfert de souveraineté [17].

L'occupation de guerre ne confère pas à l'État occupant « l'autorité étatique » sur la population du territoire occupé et sur ce territoire [18], mais entraîne uniquement une substitution provisoire et limitée dans la gestion du territoire et dans la responsabilité de créer des conditions nécessaires au développement de la personne humaine [19].

Ces principes ont été acceptés depuis le XIXe siècle. Sur le plan légal, le sort définitif d'un territoire occupé dépendait des termes d'un traité de paix. Dans l'intervalle, l'État occupant devait assurer l'ordre public et rétablir une vie aussi normale que possible pour la population occupée [20]. De nos jours, en vertu de la Charte des Nations Unies, l'acquisition de territoire par occupation ou annexion est illégale. L'idée sous-jacente est que l'occupation ne doit représenter qu'une phase transitoire qui ne peut prendre fin que par la restitution du territoire, ou exceptionnellement par d'autres solutions conformes au droit international.

L'occupant ne peut pas modifier le statut du territoire occupé. Administrateur de fait, il doit maintenir et laisser subsister les structures économiques, sociales et les coutumes. Il ne peut modifier les lois et les règlements en vigueur dans le territoire que dans les limites nécessaires pour lui permettre de remplir ses obligations en vertu de la Convention, et pour assurer l'administration régulière du territoire ou pour assurer sa propre sécurité (article 64). La puissance occupée conserve ses compétences législatives, administratives et juridictionnelles, étant entendu que la répartition des compétences entre État occupé et puissance occupante peut dans une certaine mesure être commandée par les nécessités de sécurité de cette dernière. Ainsi, l'État occupant est responsable du bien-être de la population protégée, et a le devoir d'un « good government » [21].

5 (b) Constatations

Dans le cadre de l'application de la IVe Convention à des territoires occupés, des abus et des violations précises ont pu être observés. En raison de certaines mesures prises à l'encontre des habitants, ce sont aussi les principes et l'esprit de la Convention tels que retracés ci-dessus qui ont été bafoués.

À noter que les occupations de longue durée ont provoqué des problèmes particuliers. À l'évidence, plus l'occupation perdure, plus il paraît difficile d'assurer un respect effectif de la IVe Convention. En effet, un développement du territoire est inévitable et même nécessaire. Cependant, l'État occupant doit promouvoir un développement normal ; celui-ci ne doit pas aboutir à une modification fondamentale de la nature du territoire occupé ou de sa population. En outre, un tel développement ne doit pas entraîner une dépendance du territoire occupé vis-à-vis de l'occupant.

5 (b) (iv) Prise en compte des impératifs militaires et de sécurité

Parallèlement à sa responsabilité de maintenir l'ordre dans les territoires occupés, la puissance occupante est en droit de veiller à sa propre sécurité. Les États ont pris en compte les nécessités militaires et les impératifs de sécurité dans la rédaction de la IVe Convention, en établissant un équilibre entre l'intérêt de la puissance occupante et les besoins de protection de la population.

Ainsi la puissance occupante peut-elle prendre des mesures de contrôle ou de sécurité nécessaires du fait de la guerre (article 27). Elle a le droit de constituer ses propres tribunaux militaires pour connaître de délits commis contre sa sécurité (article 64 et suiv.).

Dans les cas expressément prévus par la Convention, la puissance occupante peut soulever l'exception de sécurité. Par exemple, pour d'impérieuses raisons militaires, la population occupée peut être déplacée, ou au contraire, elle peut être retenue, même dans une région particulièrement dangereuse (article 49). Certaines destructions absolument nécessaires lors d'opérations militaires sont autorisées (article 53). Il convient cependant de toujours respecter l'équilibre entre les besoins de protection de la population, la pérennité de ses droits et les impératifs militaires et de sécurité.

En réalité, les États se réfèrent de façon extensive, et parfois erronée, à l'exception de sécurité et à l'état de nécessité, la raison d'État risquant alors d'envahir de façon arbitraire tous les domaines de la vie dans le territoire occupé. Par exemple, les mesures prises au nom du maintien de l'ordre ont paralysé la vie économique. Au nom de la sécurité, des terres cultivables ont été confisquées ou expropriées à des fins d'exploitation économique par les ressortissants de la puissance occupante, des maisons ont été détruites. L'accès aux champs et aux plantations a été entravé entraînant une dégradation de l'état nutritionnel dans certains villages. L'internement a été utilisé à d'autres fins que celles autorisées par la Convention ou pour contourner des procédures fixées par la loi (article 78).


4. Quels sont les droits de la puissance occupante à l’égard des biens et des ressources naturelles dans le territoire occupé ?

Biens privés

Les biens privés ne peuvent pas être confisqués par l’occupant.

Les vivres, médicaments et matériel médical ne seront réquisitionnés que pour les forces et l’administration d’occupation (c’est-à-dire, ni pour l’exportation hors du territoire occupé ni au bénéfice de personnes autres que les occupants, à moins que la réquisition soit nécessaire pour la population sous occupation elle-même) et seulement si les besoins de la population civile ont été pris en compte (CG IV, art. 55).

Biens publics

La puissance occupante peut saisir toute propriété mobilière de l’État de nature à servir aux opérations de guerre (Règlement de La Haye, art. 53).

L’occupant n’acquiert pas la propriété des biens publics immobiliers dans le territoire occupé, car il n’est qu’un administrateur temporaire. À condition qu’il respecte certaines restrictions concernant leur utilisation et leur exploitation, il peut néanmoins faire usage des biens publics, y compris des ressources naturelles, mais il doit sauvegarder le fonds de ces propriétés conformément aux règles de l’usufruit (Règlement de La Haye, art. 55).

5. Quand l’occupation prend-elle fin ?

Normalement, une occupation prend fin lorsque la puissance occupante se retire du territoire occupé ou en est chassée. Cependant, la présence prolongée de troupes étrangères ne signifie pas nécessairement que l’occupation continue.

Normalement aussi, un transfert de l’autorité à un gouvernement local – transfert qui rétablit le plein et libre exercice de la souveraineté – met un terme à l’état d’occupation, si le gouvernement accepte la présence prolongée de troupes étrangères sur son territoire. Néanmoins, le droit de l’occupation peut redevenir applicable si la situation sur le terrain change, c’est-à-dire si le territoire se trouve à nouveau « placé de fait sous l’autorité de l’armée ennemie » (Règlement de La Haye, art. 42) – en d’autres termes, sous le contrôle de troupes étrangères sans le consentement des autorités locales.

6. Quelle est la situation des personnes privées de liberté pendant et après l’occupation ?

Les prisonniers de guerre sont des personnes capturées, membres des forces armées et des milices associées, qui répondent aux critères fixés par la IIIe Convention de Genève (CG III, art. 4 A. 2) ; ils bénéficient des droits garantis par la Convention. Toute autre personne détenue dans un territoire occupé est protégée par la IVe Convention de Genève, sauf quelques rares exceptions telles que les ressortissants de la puissance occupante et de ses alliés. Cependant, aucune personne privée de liberté pour des raisons liées à la situation d’occupation ne peut être soustraite aux normes coutumières minimales garanties par l’article 75 du Protocole additionnel I.

Les prisonniers de guerre et les internés civils doivent être libérés sans délai à la fin des hostilités. Néanmoins, ceux qui seraient sous le coup d’une poursuite pénale pour un crime ou un délit de droit pénal pourront être retenus jusqu’à la fin de la procédure pénale ou jusqu’à l’expiration de la peine (CG III, art. 119, al. 5, CG IV, art. 133, al. 2). Jusqu’à leur libération et tant qu’elles sont sous l’autorité de l’occupant, toutes les personnes privées de liberté restent sous la protection du droit international humanitaire (CG III, art. 5, al. 1, CG IV, art. 6, al. 4).

7. Quel est le fondement des activités de protection du CICR en faveur des personnes privées de liberté pendant et après une occupation ?

Les Conventions de Genève et leurs Protocoles additionnels confèrent au CICR le droit de visiter toute personne capturée pour des raisons liées à un conflit armé international, y compris dans les situations d’occupation (GC III, art. 9 et 126, GC IV, art. 10 et 143, Protocole additionnel I, art. 81).

Si la violence continue après la fin de l’occupation, les activités de protection du CICR ont les bases juridiques suivantes :

Dans les conflits armés non internationaux, le CICR fonde ses activités de détention sur l’article 3 commun aux quatre Conventions de Genève (et sur le Protocole additionnel II, le cas échéant). L’article 3 établit le droit du CICR d’offrir ses services aux parties au conflit dans le but d’entreprendre des actions de secours et de visiter les personnes détenues pour des raisons liées au conflit.

Dans d’autres situations de violence interne, qui ne constituent pas véritablement des conflits armés, le CICR peut offrir ses services sur la base de son droit d’initiative prévu dans les Statuts du Mouvement international de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge (art. 5, par. 2, al. d, et par. 3)

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