14 mars 2007

L'Europe face à ses responsabilités

Palestine, l'Europe face à ses responsabilités, par Robert Malley
LE MONDE | 13.03.07 | 12h46 • Mis à jour le 13.03.07 | 13h15


La situation catastrophique du monde palestinien reflète, en partie, l'échec d'une politique américaine irresponsable. Elle reflète tout autant l'échec de tous ceux - européens en particulier - qui se devaient de l'infléchir.

Depuis mars 2006, date de la formation du gouvernement par le Hamas, cette politique peut se résumer en quelques mots : boycott financier et diplomatique dudit gouvernement tant qu'il n'aura pas respecté les trois conditions du Quartet, à savoir : la reconnaissance d'Israël, la renonciation à la violence et l'acceptation des accords passés. Objectif affiché : que le mouvement islamiste fasse son aggiornamento idéologique ; espoir à peine dissimulé : que son incapacité à gouverner retourne l'opinion publique contre lui et ramène au pouvoir ceux que les élections venaient de désavouer. L'aide économique et militaire fournie au Fatah est venue compléter ce tableau, puisque ce faisant Washington comptait préparer une confrontation entre rivaux palestiniens.

Discutable dans le principe, cette stratégie s'est révélée pour le moins désastreuse dans la pratique. Le président Mahmoud Abbas est plus faible aujourd'hui qu'il y a un an. Le Hamas ne s'est pas plié aux exigences du Quartet et, bien que lui aussi ait perdu de sa popularité, il reste au pouvoir et n'est pas près d'en être délogé. L'Autorité palestinienne, à laquelle l'Europe a versé des sommes considérables, est au bord de l'effondrement. La guerre civile menace dans les territoires occupés. Le cessez-le-feu israélo-palestinien, fragile dès le départ, chancelle. Le processus de paix est au point mort. Sur tous les plans - sécuritaire, politique, social, économique, institutionnel ou diplomatique - l'approche adoptée par le Quartet l'aura éloigné des objectifs qu'il s'était fixés.

L'accord passé à La Mecque entre le Hamas et le Fatah offre l'occasion de tourner cette triste page. Ayant réalisé que l'opinion publique palestinienne les considérait tous deux coupables, que ni l'un ni l'autre ne sortirait vainqueur de ce conflit et que leur corps-à-corps menaçait de dégénérer en guerre civile, ils se sont entendus pour constituer un gouvernement d'union et mettre un terme aux combats. L'accord est fragile. Les deux organisations vont devoir témoigner de bien plus d'humilité qu'elles n'en ont démontré à ce jour ; accepter le principe sans précédent dans l'histoire du mouvement national d'une véritable cohabitation entre nationalistes et islamistes ; et maîtriser l'instinct de revanche qui s'est répandu au sein de la population.

Mais le succès de La Mecque dépendra également, et pour beaucoup, de l'attitude internationale. Déjà s'élèvent des voix qui, tout en saluant hypocritement l'effort saoudien, réclament du gouvernement à venir qu'il respecte les conditions précédemment imposées. De l'administration Bush on ne s'attendait guère à mieux. Mais de l'Europe ? N'aura-t-elle rien appris de cette faillite collective ? Si accord il y a eu en Arabie saoudite, c'est bien parce que le Hamas n'a pas été sommé d'accomplir une révolution idéologique qu'il ne fera pas mais plutôt encouragé à réaliser une évolution pragmatique qu'il fera peut-être. Par conséquent, demander le respect des conditions du Quartet, c'est exiger une renégociation des accords de La Mecque, ce qui revient à les torpiller.

Le parcours du Hamas est tel qu'il justifie qu'on le mette à l'essai : est-il prêt à accepter et à imposer un cessez-le-feu réciproque ? Est-il disposé à laisser les mains libres au président Abbas, dûment mandaté en tant que dirigeant de l'OLP à négocier avec Israël ? Est-il d'accord pour que soit soumis à référendum tout accord que Mahmoud Abbas aura conclu ? Et s'engage-t-il à en respecter les résultats ?

En guise de réponse, certains dirigeants européens se réfèrent à la nécessaire loyauté transatlantique. Mais c'est là confondre objectifs et moyens. Solidarité avec les Etats-Unis, bien évidemment, mais pas à n'importe quel prix, pas au prix d'un abandon de toute logique et de toute raison. Un gouvernement d'union nationale est devenu un impératif, la condition préalable à tout progrès, que ce soit vers la fin des combats fratricides, la stabilisation de l'arène palestinienne, le rétablissement de ses institutions, l'arrêt des hostilités israélo-palestiniennes, ou même la reprise d'un authentique processus de paix. Contribuer à l'échec des accords de La Mecque, boycotter d'emblée un nouveau gouvernement comprenant certains des dirigeants palestiniens les plus pragmatiques, et continuer à le priver des moyens de gouverner, c'est garantir une marche en sens inverse, irréversible peut-être.

Ce réflexe européen, ce besoin de faire écho aux positions de Washington est un double aveu : croyance démesurée dans l'obstination américaine et foi insuffisante dans sa capacité propre. Que l'Europe au contraire exprime avec conviction et fermeté sa position, qu'elle s'y tienne et - avec l'appui du monde arabe - la mette en oeuvre, et ce sont les Etats-Unis qui devront s'adapter. Qu'elle cesse de s'abriter derrière une administration qui n'en a plus que pour deux ans. Et qu'elle assume enfin ses propres responsabilités.


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Robert Malley est directeur du programme Proche-Orient de l'International Crisis Group.

Article paru dans l'édition du 14.03.07.

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